Le père Noël n'avait pas six ans





Ce conte de noël est paru en 1981




Le père Noël n'avait pas six ans Conte valentinois de Paul-Jacques Bonzon

Voilà quelques jours, le nouveau groupe scolaire portant le nom de "Paul-Jacques Bonzon", l'ancien instituteur et romancier de l'enfance qui nous a quittés voilà deux ans, était inauguré par le député maire dans le quartier de Fontbarlette. Au cours de cette manifestation, on a beaucoup évoqué la mémoire de cet homme dont toute la carrière professionnelle avait été consacrée aux enfants, que ce soit comme enseignant à l'école de la rue Berthelot tout d'abord, comme écrivain ensuite en les passionnant avec les héros de ses romans. Une oeuvre de littérature enfantine immense, dominée par la série des "Six compagnons" et de "La famille H.L.M." et couronnée par le Grand Prix de littérature du Salon de l'enfance attribué voilà une dizaine d'années à Paris.
Paul-Jacques Bonzon a disparu mais ses oeuvres demeurent et grâce à son fils Jacques, nous vous présentons en ce jour de Noël 81 un conte inédit qu'il avait écrit voilà de nombreuses années déjà et que sa famille conserve pieusement avec bien d'autres manuscrits dans l'album des souvenirs. L'auteur aurait été certainement très heureux de pouvoir dédier lui même ces pages délicatement écrites pour les enfants et nous remercions son fils Jacques de nous permettre aujourd'hui de les offrir en guise de cadeau de Noël aux jeunes lecteurs de notre journal.

 

***

 

Le père Noël n'avait pas six ans

 



Quelle cohue dans Valence, ce matin-la, le dernier avant Noël. Partout, de l'avenue Victor Hugo à la rue des Alpes, en passant par les boulevards, c'étaient les mêmes déferlements de foules, les mêmes embouteillages de voitures encombrées de paquets, les mêmes attroupements devant les vitrines de jouets.
-  Puisque le temps n'est pas trop froid, dit Mme Ducreux a son petit Patrice, veux tu m'accompagner en ville e le n'ai pas tout a fait terminémes achats.
- Oh I Oui, approuva Patrice enthousiaste, je regarderai encore les trains électriques.
De l'avenue des Balives ou le docteur Ducreux habitait une villa cossue aux baies ouvertes sur l'incomparable site de Crussol, le petit Patrice qui n'avait pas encore soufflé ses six bougies s'en  fut donc avec sa mère vers les rues marchandes de la ville. Ils déambulaient tous deux de boutique en boutique, de vitrine en vitrine quand Patrice aperçut soudain le Père Noël, sur un trottoir, au coin de la place de la République.  Oui, c'était lui, avec son manteau bang d'hermine, son opulente barbe blanche,
ses sourcils ouatés. Un photographe l'accompagnait, qui s'affairait aprendre des clichés de l'auguste vieillard tenant par la main des bambins émerveillés.
- Le plus beau souvenir de Noël l clamait le photographe. Dix francs seulement la photo. Patrice ne résista pas au désir de se voir, lui aussi bonhomme haut comme trois pommes, a côté de l'illustre personnage.
- Dis, maman, tu veux bien ?... Avec la Père Noël ?...
Clic clac, avant même que maman eût le temps de donner son consentement, le tour était joué.
Quelques instants plus tard, Patrice pouvait s'admirer, en flatteuse compagnie sur la belle image en couleur.  Il se sentait si fier et surtout si ému que, sur le chemin de la maison, il ne cessa de poser a sa mère toutes sortes de questions sur le Père Noël.
- Dis maman, il doit être très riche le Père Noël pour distribuer des jouets dans toutes les cheminées.
-  Certainement, Patrice.
-  Aussi riche que papa ?
- Beaucoup plus riche. Pense donc, des millions et des millions d'enfants a gâter.
- Alors, sa maison est très belle C'est peut-être un château ?
-Embarrassees, maman répondit :
- Je ne crois pas. Le Père Noël est très généreux. II donne tout ce qu'il possède et ne garde rien pour lui.
- Ah ? fit Patrice surpris.
La conversation n'alla pas plus loin car ils arrivaient devant la villa. Cependant, remonté dans se chambre, Patrice continua  de l'interroger  sur le Père Noël tout en le contemplant, sur la photo. La dernière  réponse de maman l'avait chiffonné ,. Patrice avait une idée très personnelle de la genérosité. Etre généreux, c'était seulement donner ce qui n'intéressait plus, qui n'amusait plus, Maman devait se tromper.
Le Père Noël était riche, il devait habiter une belle demeure avec un parc et des animaux, une maison comme la sienne  en somme, mais en mieux puisqu'il était plus riche que papa, et encore plus douillette, puisqu'il était très vieux.
C'est alors qu'une idée grandit dans sa petite tète. Une irrésistible envie le prit de savoir comment était la maison du Père Noël... qui, bien entendu, ne pouvait habiter que Valence, le centre du monde pour Patrice. Discrètement, pendant que sa mère et la servante étaient occupées, il descendit l'escalier et reprit le chemin de la ville. II était midi. Toujours aussi dense, la foule se hâtait avec fièvre. Des boutiques fermaient déjà leurs portes. Certainement, le Père Noël allait rentrer chez lui pour déjeuner.
Blotti dans un coin de la place, il attendit. Bientôt en effet, le Père Noël et son ami le photographe se séparèrent. Le Père Noël  traversa la place comme pour aller vers la vieille ville. Cette direction parut bizarre à Patrice. II connaissait la vieille ville, la place des Clercs, celle des Ormeaux, pour avoir accompagné au marche sa gouvernante. Dans ces quartiers, les belles demeures étaient rares, mais, après tout, il en existait peut-être  une digne du grand dispensateur de richesses. De loin, il suivit donc le Père Noël. Sa déception fut grande quand il vit le manteau rouge emprunter les plus anciennes artères, longer la plus sombre des ruelles et disparaître  soudain dans le plus vétuste et ténébreux des corridors.
- Non, se dit aussitôt  Patrice, ce n'est pas possible, le Père Noël n'habite pas là. Il est venu prendre la commande d'un petit garçon malade... ou bien il cache dans cette vieille maison les jouets qu'il distribuera cette nuit. Alors, planté en face, sur le trottoir, il attendit, certain que le Père Neuf allait sortir. Mais soudain, il tressaillit. A travers une fenêtre ou plusieurs bouts de carton remplaçaient des vitres brisées, il venait d'apercevoir le manteau rouge. II regarda de tous ses yeux Stupeur. Le Père Noël était précisément en train d'enlever son beau manteau. II apparut alors vêtu comme tout le monde non, pas comme tout le monde, son pantalon était fripé et sa veste raccommodée aux coudes. A la place de la belle barbe blanche pointait un menton osseux et le vieil homme n'avait plus quelques cheveux.
Patrice resta songeur. Ainsi, maman  avait raison Le Père  Noël donnait tout ce qu'il possédait. Avait-il fait cadeau aussi de sa belle maison ? Des larmes lui vinrent aux yeux quand il le vit ouvrir un placard, en sortir un morceau de pain, un bout de fromage et s'attabler, seul, le col de sa veste relevé, dans cette misérable pièce sans feu. Non, c'était trop injuste.
Bouleversé, il rentra chez lui en courant. Dans l'affairement des préparatifs du repas que l'on prenait d'ordinaire assez tard, pour attendre le docteur, personne ne s'était aperçu de son absence. Durant tout le déjeuner, il ne souffla mot ce qui parut surprendre son père  lequel se demanda s'il ne couvait pas une mauvaise grippe, comme celles que lui même soignait en ce moment par dizaines dans la ville. Mais, au dessert, Patrice n'y tint plus brusquement, il déclara :
- Tu sais, maman, je n'ai plus envie du train électrique que j'avais demandé au Père Noël.
- Que dis-tu la ? Mon Dieu ! Quel enfant capricieux ! Changer ainsi d'avis au dernier moment alors que ce train, tu le réclames depuis des mois.
- Non maman, le n'ai plus envie de train électrique, plus envie de rien.
On eut beau l'interroger pour connaître les raisons de ce soudain mépris pour les jouets, personne ne put lui arracher une réponse et son père en conclut :
-  C'est bien cela, il couve la grippe.
Remonté dans sa chambre, hanté par sa vision du Père Noel grignotant un qui quiqnon de pain dans une pièce sans feu 'il songea à retourner sur la place, pour lui dire qu'il renonçait à ses jouets et qu'avec cet argent, le pauvre homme pourrait s'acheter des chocolats ou des marrons glaces. II n'eut guère  à insister  pour décider la gouvernante à l'accompagner pour une nouvelle promenade en ville. II profiterait de ce que la jeune fille contemplerait les vitrines peur glisser, en cachette, un mot au Père Noël. Hélas, les photographes étaient toujours là au coin de la place, mais plus de Père Noël Patrice rentra chez lui tout triste... et bien justes aussi furent la soirée et la nuit. Plusieurs fois, dans son lit, il répéta tout bas, espérant être entendu :
- Père Noël, écoutez-moi. Ne m'apportez pas mon train électrique, ne t'apportez rien. Gardez tout pour vous.
Mais quand il s'éveilla, le lendemain, le train électrique était dans la cheminée, encore plus beau qu'il l'avait souhaité, avec toutes sortes de wagons et un nombre incalculable de rails... le tout, à côte d'une énorme boite de marrons glacés. Non, c 'était trop tentant, Patrice ne pouvait pas refuser. Malgré lui, son visage s'épanouit.
- Tu vois, s'écria maman radieuse, tu ne savais pas ce que lu disais, hier, mon petit Patrice, quand tu prétendais n'avoir plus envie de rien. Mais la joie de l'enfant fut brève. Le train électrique, bien sur il le garderait. Le Père Noël avait passé  l'age  de s'amuser avec des jouets, mais les marrons glaces...
Sa décision  fut tout de suite prise. Tandis que papa lisait, devant le feu de cheminée du salon, que maman et l'employée de maison s'affairaient à la cuisine, Il prit la grosse boite de marrons glacés sous son bras et sortit. Après l'extraordinaire animation de la veille, les rues étaient presque désertes. Il faisait aussi très froid. Le long  des trottoirs, l'eau avait gelé dans les rigoles. D'un pas décidé, Patrice gagna les boulevards, Pénétra dans la vieille ville, retrouva la petite rue et entra dans le ténébreux corridor.
- Que cherches-tu, mon petit demanda une vieille dame.
- Le Père Noël
- Tu veux dire sans doute le vieux Sauvagnon
Il sorti la photo en couleur qu'il gardait précieusement dans sa poche et la montra.
- C'est bien cela, fil la vieille dame, le père Sauvagnon
Puis, prenant une mine attristée :
- Hélas I mon petit bonhomme, il a pris froid sur la boulevard. Il n'a pas pu travailler hier après-midi.
- Je voudrais le voir quand même, je lui apporte des marrons glacés.
- C'est que, il est au lit.
-  Çà ne fait rien.
Il y avait tant d'obstination dans la voix de Patrice que la brave dame, comme s'il pouvait comprendre, expliqua.
-  Il est très malade, tu sais, il a beaucoup de peine à respirer. Hier soir, le suis  allée chez une voisine  téléphoner  au commissariat pour avoir l' adresse du médecin de garde. Il n'est pas venu. J'y suis  encore retournée ce matin. Le docteur de service est très occupé. Pense donc, c'est Noël. Seul pour toute la ville. Il ne  viendra peut être pas avant ce soir ! mais qui sait si,  ce soir, ce ne sera pas trop tard. Tu comprends mon petit bonhomme, tu ne peux pas le voir
Cette fois, Patrice n'insista pas. Oui, il avait compris, le Père Noël était en danger et il n'avait personne pour le soigner. Alors, il pensa à son père qui était médecin. Déposant sa boite de marrons glacés dans les bras de la vieille dame, il parut en courant et arriva chez lui a bout de souffle.
-  Papa ! ... Papa ! viens vite. Le Père Noël va mourir !...
Quelques minutes plus tard, Ie docteur Ducreux se penchait sur le grabat d'un vieux bonhomme dans la plus vétuste maison de l'ancienne ville et on pouvait l'entendre dire à mi voix :
Pauvre vieux ! Il était grand temps.
Et c'est ainsi que cette année là,  un petit bonhomme qui n'avait pas six ans sauva la vie du Père Noël de Valence.

 

Paul-Jacques Bonzon

 


Avec l'aimable autorisation de Jacques Bonzon


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