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PAUL-JACQUES BONZON

 

  

Paul-Jacques Bonzon

Du gui pour Christmas

Étude comparative des  versions

Par Michel

 

 

 

 

Presque vingt ans exactement séparent les deux versions de ce même roman. Vingt ans durant lesquels l’auteur est devenu un écrivain confirmé pour la jeunesse, un fleuron des éditions HACHETTE.
Sa série phare « Les Six Compagnons » connaît depuis sa création en 1961 un grand succès dans la « Bibliothèque Verte » et plusieurs de ses ouvrages sont désormais des classiques de ce genre de littérature (L’éventail de Séville, Les Orphelins de Simitra…) En exhumant ce titre ancien rédigé avant cette renommée, Paul-Jacques BONZON l’a profondément métamorphosé dans sa conception, allant jusqu’à modifier le dénouement de son histoire. Ce qui est particulièrement intéressant puisqu’en comparant les deux versions, on étudie son cheminement et la remise à plat de la première version. Non que cette dernière ne soit pas réussie, au contraire même, elle était très aboutie, trop sans doute pour l’éditeur HACHETTE. Trop de misère, trop de tristesse en cette période de fêtes où est censée se passer l’histoire. « L’idéal-Bibliothèque «» ne pouvait accueillir ce livre tel qu’il se présentait. C’est pourquoi son auteur a sans aucun doute été prié d’en réécrire une version plus édulcorée. Bien entendu, la version originale en a beaucoup souffert, ayant perdu ce qui faisait sa force, à commencer par son réalisme ; sans doute aussi a-t-elle était jugée trop adulte... La pauvreté y était décrite sans concession : misère, illettrisme, surnatalité … comme chez un certain Hector MALOT (également normand) et son célèbre « Sans Famille »…. Je vous propose donc une comparaison de ces deux versions très différentes de ce roman qui a pour titre « Du Gui Pour Christmas ».

Edition originale de 1953 aux éditions Bourrelier, collection Marjolaine
22 chapitres.

Il suffit de parcourir les deux tables des chapitres pour se convaincre que nous avons bien à faire à deux livres tout à fait différents !
Paul-Jacques BONZON a en fait réécrit son ouvrage composé en 1953.
L’édition originale publiée aux Editions BOURRELIER est très différente de celle parue dans la collection de chez HACHETTE, dans « l’Idéal Bibliothèque » en 1972.
Non seulement le nombre de chapitres a été considérablement diminué mais tout le livre a été retravaillé. A la demande de l’éditeur ?
C’est d’autant plus intéressant qu’il s’agit d’un cas unique pour notre auteur; « Le Voyageur sans Visage » avait été repris à l’identique par « la Bibliothèque Verte ».
Si le sujet reste le même, sous un titre identique, nous avons en fait deux bouquins totalement différents.
Vingt ans se sont écoulés entre ces deux rédactions, l’auteur, comme ses lecteurs, a évolué.
Probablement, le misérabiliste de la famille de Côme dans la version originale a paru excessif aux éditions HACHETTE. Cette pauvreté plus acceptable en 1953 était devenue gênante vingt ans après; Le niveau de vie de tous avait considérablement évolué, il fallait donc « moderniser » l’histoire. D’autant que le talent de l’auteur avait rendu la situation de ces malheureux criante de vérité. Diable, nous sommes en France et cette misère en 1972 n’avait plus lieu d’être ! Cachez-moi ces pauvres qui ne peuvent que nous donner mauvaise conscience surtout pendant les Fêtes de Noël ! L’auteur s’est donc exécuté. Avouons que le livre y a beaucoup perdu mais il fallait caser ce titre dans une collection avec toutes les normes en vigueur (nombre de pages, chapitres, illustrations…).
La seconde version est certes plus adaptée à « l’Idéal-Bibliothèque » mais elle pâtit indéniablement de sa comparaison avec la première !

Édition de 1972 chez Hachette, collection Idéal Bibliothèque
17 chapitres.

 

Ci-dessus, l'illustration de l'édition originale de 1953, ci-dessous, l'illustration de l'Idéal Bibliothèque de 1972

 


Dans la version la plus récente, l’histoire débute quand le petit COME a déjà une douzaine d’années… Dans la précédente version, le jeune garçon n’était même pas né au premier chapitre ! Seule sa naissance était annoncée à son brave père prénommé PHIL… pour Philibert par un dénommé Servais. Notons que Paul-Jacques BONZON a réutilisé ce prénom dans « J’irai à Nagasaki » pour baptiser le jeune héros normand de cette histoire… Encore la quête d’une jeune fille, japonaise cette fois-ci, mais en tout bien tout honneur ! L’amitié tient une grande place dans tous les romans de notre auteur…
Ce premier enfant du jeune couple étant né le vingt septième jour de septembre, l’almanach le désignera sous le prénom peu usité il est vrai, même à l’époque, de Côme. Même la jeune maman Angéline hésitera quelque peu… Mais il s’agit d’une mesure avant tout économique ! « Pour ne pas avoir deux fêtes à souhaiter dans l’année »…
Il est vrai que le jeune couple est bien misérable : seul PHIL travaille et vit chichement de la pêche.
(…) Ils habitent une curieuse maison, en vérité, tenant à la fois du chalet et de la cabane à lapins. Pour tout dire une baraque de bois, édifiée autrefois par des baigneurs et depuis des années abandonnée, perchée sur la houle des dunes… (…)
(…) La maison des sables, une étrange construction de briques et de planches édifiée naguère par son père… (…) Ainsi la décrit le petit Côme vingt ans plus tard.
Déjà, l’habitation tout en restant modeste apparaît un peu moins misérable même si elle garde son caractère isolé au milieu des dunes près de l’océan Atlantique.
Entourée, voir envahie, de sable ! La description qu’en fait l’auteur à ce sujet est édifiante :
(…) Le sable n’était pas seulement dehors, sur la grève, dans les dunes, il était aussi dedans, dans la maison, jusque dans le pétrin de Côme. Eh oui ! Dans son pétrin. La bercelonnette d’osier était trop petite maintenant, il dormait dans un vieux pétrin vermoulu transformé en lit. Au fond, maman Angeline avait étendu une paillasse bourrée de varech qui sentait bon la marée, et c’était là que dormait Côme. (…)
C’est donc dans cet univers que va grandir le garçonnet. Les six premiers chapitres, absents de la version suivante, nous décrivent sans concession cette vie isolée dans les dunes peuplées de lapins de garenne, les fameux « grignotins »…
Seul, isolé du reste du monde, même pas scolarisé !, ce qui était impensable vingt ans plus tard : la vérité d’hier n’étant pas celle d’aujourd’hui, notre instituteur a corrigé le tir et nous a présenté cette malheureuse famille sous un jour un peu plus flatteur.
La misère doit rester présentable !
Plusieurs épisodes émaillent ces chapitres inédits puisque non repris en 1972 : la « disparition » de Côme qui échappe à la surveillance de ses parents, l’amputation d’une phalange due à son désir de grandir plus vite, l’apprentissage de la natation, « Oculi », le jeune « grignotin » apprivoisé par le jeune garçon… La présence de campeurs sur la plage à proximité de la maison des sables puis la naissance de frères jumeaux : Prime et Félicien… qui n’existeront plus dans la version moderne !
Paul-Jacques BONZON s’étant sans doute rendu compte qu’il avait bien assez chargé la barque dans le manuscrit original.
Tous ces évènements peuvent paraître anodins mais ils étaient en fait très importants puisqu’ils constitueront la prime enfance de Côme destiné à devenir le héros de cette histoire.
Les illustrations d’origine, comme bien souvent dans pareil cas, ne seront ni reprises ni imitées.
Tout un pan du roman sera sacrifié, voire censuré, par l’auteur lui-même… Il est vrai que vingt ans plus tard, les choses ont bien changé ! A ce propos, on peut signaler que l’éditeur s’était cru obligé de préciser que les conditions des classes de neige avaient fortement changé au moment de la réimpression des « Six Compagnons et l’Homme des Neiges », aventure écrite dans les années soixante !

Angeline et Phil se penchent sur le "berceau" du petit Côme qui vient de naître dans la misérable cahute. Le décors très dépouillé est très fidèle au texte. 

Signées Maguy LAPORTE, elles sont toutes en noir et blanc et de leur naïveté s’échappe un charme certain.
On ne peut malheureusement pas en dire autant de celles de
Patrice HARISPE qui illustre « l’Idéal-Bibliothèque ».
On peut regretter un Albert CHAZELLE très à l’aise dans ce genre de romans !
Même en couleur, on n’y retrouve pas le charme auquel on était habitué : cette participation unique dans l’œuvre de Paul-Jacques 
BONZON ne semble pas avoir davantage convaincu l’éditeur.
Le livre en souffre car on n’y retrouve pas les personnages de l’auteur fort bien illustrés dans les autres ouvrages.
Pourquoi un tel choix ? Cette question demeurera sans réponse.
Sans doute une regrettable indisponibilité…
Pour primitives qu’elles paraissent, les illustrations originales traduisent bien la teneur du texte avec une sensibilité typiquement féminine, un autre cas unique chez BONZON mais on sait que ce n’était pas l’auteur qui choisissait son dessinateur, ce qui est bien dommage !
Du reste, elles ne sont pas rappeler celles qui accompagnaient les premiers récits du «  Club des Cinq   »...

Editions Bourrelier 1953



Editions Bourrelier 1960

L’édition originale chez BOURRELIER 
possède deux jaquettes : La première 
date de 1953, la seconde de 1960. Elles 
sont toutes dues à Maguy LAPORTE.
En 1972, « l’Idéal-Bibliothèque », la 
collection de chez HACHETTE, n’utilisait 
déjà plus de jaquette papier.

Bien entendu, seule la jaquette était illustrée en couleur à 
cette époque; les dessins donc en noir et blanc occupaient une 
demie voire une page entière.
Ci-contre, le jeune Côme découvre ses frères jumeaux, Prime
et Félicien, qui n’existeront plus dans la version suivante. (les 
mains dans les poches expriment peut-être sa déception de ne 
pas avoir eu une petite sœur !)
Il faut dire que le nombre d’habitants devenait considérable 
dans la petite maison des sables dépourvue d’électricité et 
d’eau courante.
Le confort y était des plus rudimentaire ! Et les familles nombreuses plus rares vingt ans plus tard ! 

 

 

Ci-contre, le jeune Côme est représenté de façon bien différente vingt ans plus tard par Patrice Harispe pour l’édition HACHETTE dans « L’Idéal-Bibliothèque »; il parait davantage adulte et est mieux habillé.

Assis sur la grève à contempler les mouettes qui ne semblent guère effarouchées par sa présence.

Pense-t-il à la petite sœur qu’il n’a pas eue ? En attendant, après la naissance des jumeaux, deux autres petits frères arriveront : Gaétan, l’année suivante puis Jérôme toujours baptisés d’après l’almanach des marées !

(…) Avec l’aide de Côme, papa Phil a agrandi la maison. L’appentis est devenu une chambre. Sur l’autre pignon, il a édifié une sorte de cellier, où sont remisés les engins de pêche. Qui pourrait reconnaître, dans cet agencement de tôles et de planches d’épaves, un ancien chalet de baigneurs. On voit tout de suite que de pauvres gens vivent là (…)

Paul-Jacques BONZON insiste sur la dureté de la vie dans de telles conditions :

(…) Côme est fier d’être presque un homme, pourtant il n’est pas tout à fait heureux. Papa Phil et maman Angeline ont trop de soucis pour être souvent gais. Ils se sont laissé gagner par la rudesse, la dureté, même, des pauvres gens que le travail épuise et qui souffrent de ne pouvoir apporter sous leur toit tout le bonheur dont ils avaient rêvé (…)

Sur ce, arrive l’échouage d’un beau navire de plaisance anglais, le « Tornay »; et c’est à ce moment que Côme va faire la connaissance d’une petite anglaise de son âge : Margaret qui, fort heureusement, parle la langue de Molière, son père étant français. Tout de suite va se nouer entre ces deux enfants une profonde amitié. Côme va identifier cette petite fille comme la sœur qu’il n’a jamais eue. Lui, l’analphabète, va découvrir grâce à un livre que Margaret lui lira à bord du bateau : «L’Histoire de Balimako »… Ce jeune africain, comme Côme, va rencontrer une petite fille blanche avec laquelle il va se lier d’amitié… Hélas, cette dernière va s’en aller, laissant son compagnon inconsolable. Le malheureux BALIMAKO va même perdre la vie après avoir chuté d’un arbre très haut dont il était monté à la cime… pour apercevoir le grand bateau blanc qui avait emmené sa jeune amie…

Triste histoire en vérité… Au terrible dénouement qui n’est pas sans rappeler celui de « L’éventail de Séville »… A ce propos, nous avons appris que Paul-Jacques BONZON préférait cette fin tragique à un « Happy End » de rigueur dans la littérature pour la jeunesse. (Voir Marc SORIANO)
Puis arrive un moment non moins dramatique : la jeune Margaret manque de périr à son tour en s’enlisant dans les sables mouvants. C’est Côme qui lui sauvera la vie.
Mais, neuf jours après l’échouage du Tornay pour cause d’avarie de moteur, l’heure du départ a sonné pour Margaret et les deux enfants sont séparés.
Plus tard, fortuitement, papa Phil va trouver un emploi pour Côme : embarquer au port de Hatteville où le gui destiné à être vendu à Londres pour Noël va être chargé sur un petit voilier, la « Sainte-Marie » qui deviendra la « Sainte Jeanne » dans la version suivante !.
De même le lieu de départ qui était Vareville se transforme ensuite en Sainte-Marie-du-Mont ce qui explique le changement du nom du voilier : sans faire d’anticléricalisme, quoique l’auteur était un enseignant laïque, il y aurait eu trop de Marie !
Un patron brutal et grossier (ça existe !) du nom de Leguélinel mais trois autres pauvres gosses : Jean-Marie Lefloch, Amédée Houdeville, plus connu sous le sobriquet de Médée, et Bernard, orphelin de père, tous trois qui deviendront ses camarades.
La traversée se fait dans une sinistre cambuse malodorante avant de rejoindre Londres, la capitale de l’Angleterre.

« Mistletoe !... Mistletoe for Christmas !... » … «  Du gui pour Noël !...   »

Les jeunes français vont arpenter les rues de la grande cité londonienne afin de vendre leurs bouquets de gui qui est censé porter bonheur à celui qui en possède pour les Fêtes de Noël. C’est un commerce d’autant plus lucratif que les travailleurs sont de jeunes enfants (pas trop jeunes ni trop vieux !). L’enseignant qu’était notre auteur soulève ici un délicat problème qu’il a dû rencontrer dans sa carrière ! Un problème social récurent dans nos campagnes lorsque les élèves de classe devaient abandonner les bancs de l’école pour aider leurs parents aux champs… Dans la seconde version, BONZON fait allusion à une école délabrée qui doit fermer ses portes le temps d’une réparation ! (effondrement du plafond)

Commence alors la quête de Margaret. Grâce à son copain Jean-Marie, Côme retrouve sa trace au Parc des Biches mais c’est sans compter le fameux brouillard de Londres, le fameux « smog ». (Paul-Jacques BONZON, curieusement, n’utilise jamais ce nom anglais très présent dans les aventures de Sherlock Holmes !)
Perdu dans la grande cité londonienne, Côme chute dans la Tamise et se retrouve à l’hôpital après avoir failli perdre la vie, comme le petit noir prénommé  BALIMAKO.
Grâce au matelot de la Sainte-Marie, ses camarades retrouvent sa trace et, miracle, Margaret se présentera dans sa chambre d’hôpital !
Après ces émouvantes retrouvailles, la petite anglaise lui relira l’Histoire de Balimako… mais, cette fois, le dénouement n’est plus le même ! Le petit noir âgé d’une  dizaine d’années conserve la vie !
(…) «  C’est drôle, soupira-t-il, un peu déçu, je ne pensais pas que l’histoire pourrait finir de cette façon.
- Moi non plus, fit Margaret, mais elle n’est pas triste, puisque Balimako ne meurt pas et se trouve heureux. 
Malgré tout, cette histoire les laissait, l’un comme l’autre, sur une impression de malaise  » (…)
Comme quoi, un « happy end » peut gâcher toute une histoire !
Sur ce, la jeune fille apprend une terrible nouvelle à Côme : elle va suivre ses parents à l’autre bout du monde !
Se retrouver pour mieux se quitter !
(…) Il avait revu Margaret; pour toujours, il avait fixé son image dans son cœur, mais il avait compris aussi que leurs routes, qui s’étaient croisées un jour, n’étaient plus faites pour se rencontrer. Certes, il souffrait, il souffrirait encore, l’épine resterait longtemps enfoncée dans la plaie, mais déjà la plaie cessait de saigner. Il voulait être courageux, et en était capable. (…)
Après trois jours de traversée, voilà les quatre garçons de retour en France. Seul Côme n’est pas attendu au port et il doit regagner la Grande-Dune.
Voilà déjà un mois qu’il a quitté les siens dont il n’a aucune nouvelle… Enfin arrivé, il apprend que la famille s’est une nouvelle fois agrandie avec la naissance… d’une petite sœur nommée… Marguerite… Margaret ! Et, cette fois, l’almanach n’y est pour rien ! C’est maman Angeline qui a choisi le prénom de sa dernière-née.
Voici l’épilogue de la version originale rédigée l’année de la naissance de la fille de Paul-Jacques BONZON, Isabelle… (1952 )
La dédicace de la deuxième version en 1972 est plus explicite : 
«  A ma fille Isabelle, ce récit écrit l’année de sa naissance. » P-J B.
Sauf que le récit en question a beaucoup  changé depuis ce temps ! Dès le chapitre 2, nous assistons au naufrage du « Tornay », un yacht de plaisance anglais et nous faisons connaissance de suite avec Margaret. Il est ensuite question de Cherbourg, dont l’auteur ne mentionnait nullement le nom jusqu’à là... Puis revient l’histoire inchangée de Balimako au triste dénouement … Et le sauvetage des sables mouvants qui avait failli tourner au drame. Une nouveauté : avant de se quitter, la petite fille offre à Côme ce beau livre car, dans cette version, le jeune garçon a appris à lire puisqu’il a été à l’école ! C’était la moindre des choses de la part d’un auteur qui avait été auparavant un instituteur ! Le roman, à quelques détails près, reprend son cheminement initial.
A l’hôpital, Margaret lui offre de nouveau un livre : celui de Balimako !
(…) «  Tu sais que Christmas est le jour des cadeaux ! « 
Les doigts de Côme tremblaient d’émotion. Elle dut l’aider à défaire le paquet.
«  Un livre ! «  s’écria-t-il !
Et, lisant le titre sur la couverture :
«  Oh ! L’histoire de Balimako !... Est- ce celle que tu m’as déjà donnée ?   »
Ses yeux s’arrêtèrent sur l’image du petit noir au sommet de son cocotier, et un voile de tristesse passa sur son visage.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

«  Non, fit vivement Margaret. Elle ne finit pas de la même façon.
- Est-ce que Balimako… ?
Tu vas voir !   »
Elle prit le livre et commença : (…)
Le dénouement de l’histoire est cette fois heureux… comme celui du roman que Paul-Jacques BONZON vient  de réécrire !  Un sacré clin d’œil !
C’est l’histoire dans l’histoire !
Grâce à la tempête qui dura dix jours et dix nuits (le séjour de Margaret en France lui dura neuf jours) , Côme put rentrer en France en compagnie de ses camarades à bord de la Sainte-Marie… qui, cette fois, rejoint le port de Saint-Vaast après quatre jours de traversée ! (et non plus trois !)
Et cette fois, pas de petite sœur à la maison des sables ! (Dans l’affaire, Phil et Angeline ont perdu trois naissances !) : il n’en  est point besoin ! En effet :
(…) «  Moi non plus, Côme, je ne pourrais plus te quitter si je savais que je ne te reverrais jamais. Papa m’a promis de revenir à la Grande Dune, l’été prochain. Nous te ramènerons en Angleterre, je t’apprendrai notre langue. Nous resterons ensemble longtemps, toujours. »
Alors, en contemplant la petite île, il souriait, heureux. Il savait que Margaret reviendrait. Il savait, à présent, que Balimako n’avait pas fermé les yeux pour toujours en retrouvant sa petite camarade mais qu’il s’était simplement endormi de bonheur… comme lui, Côme, tout à l’heure, s’endormirait sur sa couchette de varech dans la maison des sables… (…)
Donc, comme dans le livre de Margaret, l’histoire de Paul-Jacques BONZON possède deux fins, l’une plus heureuse que l’autre ! (Notamment comme le célèbre film « La Vache et le Prisonnier » avec un certain FERNANDEL)
Balimako nous renvoie bien entendu à « Mamadi », héros éponyme d’un autre roman de notre auteur.
La seconde version est bien entendu, sans jeu de mots, « idéalisée » par rapport à la précédente; si elle reprend quelques éléments du récit, elle s’en éloigne fortement dans son traitement ! L’histoire est simplifiée au possible sacrifiant beaucoup de belles choses ! Il est évident que la version originale était la meilleure mais que, pour des raisons éditoriales (Fille et Garçons de 8 à 11 ans !) le livre a été entièrement refondu dans le moule de « l’idéal-Bibliothèque  »!
L’auteur s’est livré à un travail de sape réduisant son roman comme peau de chagrin.
A mon avis, la version originale était très aboutie et ne méritait pas un tel sort : sous le même titre, nous avons donc affaire à deux ouvrages très différents l’un de l’autre.
La seconde version ne s’imposait pas car trop de sacrifices ont été consentis par l’auteur, à commencer par un happy end peu crédible !
Mais c’était sans doute le prix à payer pour publier cet ouvrage vingt ans après dans la célèbre collection Rouge et Jaune, les couleurs de « L’Idéal-Bibliothèque » !
Et puis, s’il ne l’avait pas fait, nous ne serions pas aujourd’hui à disserter sur la comparaison de ces deux versions !
A ce propos, notons que BONZON a aussi réutilisé un ancien titre «  La disparue de Montélimar » pour rédiger un volume des Six Compagnons plusieurs années après (« Les Six Compagnons et la disparue de Montélimar ») mais il s’agissait en l’occurrence d’une adaptation à la série.
Le cas donc « Du Gui Pour Christmas » semble unique dans l’œuvre de Paul-Jacques BONZON et mérite amplement toute notre attention; on y retrouve de nombreux éléments qui feront le succès de l’auteur et surtout une fine approche des enfants. L’auteur était encore instituteur lorsqu’il a rédigé la version originale de ce roman, pourtant, à l’âge de douze ans, le petit Côme était encore analphabète (même si ses parents savaient lire et écrire !)…
Mais il apprendra à écrire pour rédiger une lettre à Margaret, c’est beau l’amitié !
Une fois de plus, l’auteur opposera deux milieux que tout sépare : les riches et les pauvres !
Les parents de Margaret (dont on ignore les prénoms) utilisent leur navire de plaisance pour se promener (Danemark, Portugal…) alors que le pauvre PHIL, le papa de Côme, souhaiterait tant posséder une chaloupe pour exercer son métier de pêcheur !
Que d’injustice tout de même… Mais près de soixante ans après la rédaction de ce récit, on s’aperçoit que si les choses ont évolué dans leur forme, elles ont peu changé dans leur fond !...


Il faut aussi noter que la version originale précise que cet ouvrage a été primé en 1953… Cette mention disparaît de la deuxième version chez HACHETTE, probablement du fait que le roman a été profondément remanié entre temps !
Plus que de modifications, il s’agit d’un autre livre, si le sujet a été conservé, c’est la moindre des choses pour le même titre !, il faut parler d’une réécriture : le plan du bouquin a été chamboulé et son dénouement totalement différent !
L’auteur s’est servi de son bouquin pour en réécrire une nouvelle version.
Plus civilisée, certes, mais beaucoup moins attachante !
L’histoire de Balimako, fable ou légende dont on ignore le nom de l’auteur, a été légèrement retouché mais il s’agit là d’une figure de style.
Côme, même s’il est blanc, s’identifie au petit noir avec lequel il partage la pauvreté de ses parents; leur situation est sensiblement la même face au départ de leur petite camarade.
(…) Papa Phil, demanda-t-il, connais-tu l’histoire du petit nègre ?
- On raconte beaucoup d’histoires de petits nègres.
- Celle du petit noir qui montait sur les cocotiers.
- Tous les petits noirs montent sur les cocotiers.
Celui-là s’appelait Balimako. »
Papa Phil fouille dans sa mémoire. «  Balimako, dis-tu, il me semble, en effet... » (…)
Aujourd’hui, le terme de nègre, de négrillon dans Mamadi, peut heurter nos susceptibilités et nous rappeler un relent de racisme mais, à l'époque, ces termes n’étaient pas aussi péjoratifs ! (Voir le procès que l’on a fait à Hergé pour son « Tintin au Congo » !)
Le continent africain semble avoir beaucoup intrigué notre auteur : même Les Six Compagnons se rendront sur le continent noir par deux fois dans « Les espions du ciel » et «  Les piroguiers » !
Enfin, Paul-Jacques BONZON connaissait très bien les lieux puisqu’il était lui-même normand et ses descriptions sonnent très vrai mais on connaissait déjà son talent de conteur !...
Indiscutablement, l’auteur dans la seconde version a privilégié la partie anglaise au détriment de sa Normandie natale.
Il a gommé beaucoup de détails, comme pour effacer ce qu’il avait laissé passer plus jeune.
Le côté sauvage des frères de Côme notamment a été volontairement rayé : ces malheureux prenaient plaisir à martyriser une pauvre mouette ! BONZON a été même jusqu’à les supprimer eux-mêmes du récit. En effet, si la famille est très pauvre, les parents aiment beaucoup leur aîné… Mais, la pauvreté entraîne parfois d’autres attitudes moins nobles.
Dans la première version, on a à faire avec un véritable écrivain au style soigné; dans le seconde, il s’agit d’une rédaction honnête mais sans les sentiments qu’on pouvait ressentir auparavant.
Cette dernière manque cruellement d’authenticité et de spontanéité; il est vrai, le plat servi était réchauffé !
Certes, vingt ans, c’est une génération et les lecteurs de « l’Idéal-Bibliothèque » n’étaient plus les mêmes que ceux de la collection « Marjolaine », son public avait changé et l’auteur le savait.
Mais était-il nécessaire de réécrire l’histoire ?
On peut s’interroger !

Pour conclure ce sujet, je dois souligner tout l’intérêt d’internet grâce auquel j’ai découvert ces deux versions dont j’ignorais le contenu ! Grâce au même internet, j’ai pu me procurer les deux livres et rédiger ce que vous venez de lire.
Je serais aussi bien ingrat de ne pas remercier Serge et son site sur les Livres d’enfants : 
http://serge-passions.fr/livres_d_enfants.htm
Sans oublier le forum :
http://livres-d-enfants.conceptbb.com/
Ce forum qui permet tout à chacun d’amener sa pierre à l’édifice avec les moyens dont il dispose.
Je n’ai fait qu’un travail d’amateur mais je l’ai fait avec beaucoup de plaisir, j’espère qu’il intéressera tous les amoureux de Paul-Jacques BONZON qui, j’en suis certain, serait très étonné de constater qu’en 2014 ses livres, même si ils sont moins diffusés, continuent toujours d’intéresser jeunes et moins jeunes !

 

 

 

Michel 
(Michel39 sur le forum)

Lundi 6 janvier 2014

 

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