INTERVIEW DE MATHIEU BUSSONpar Cédric ALLEGRET
Cédric: Vous arrive-t-il, vingt-sept ans après, que l'on vous reparle des Six Compagnons?
Mathieu: C'est plutôt assez
rare. Parfois, quand j'emmene mes enfants à l'école,
une mère d'enfants réalise que j'étais dans les
Six
Compagnons qu'elle
avait vu.
Cédric:
Est-ce que cette série télé était votre première
expérience en tant qu'acteur?
Mathieu:
C'était ma première expérience télé/cinéma mais je
faisais déjà pas mal de théâtre avant. J'avais
commencé quand j'étais petit à l'age de cinq ou six
ans, en amateur d'abord et puis un peu en
professionnel. C'est d'ailleurs via des cours de
théâtre que j'ai atterri sur le casting des Six
Compagnons, mon
premier casting.
Cédric:
Vous rappelez-vous de ce casting? Mathieu:
Je me rappelle même de ce que je portais ce jour là: un
sweat blanc que ma mère avait choisi, une hérésie
totale car le blanc à
la caméra... autant mettre un réflecteur! J'ai d'abord
fait un casting individuel et quelques semaines après
on nous a rappelés pour faire des groupes.
Cédric:
Vous aviez postulé pour un rôle précis ou n'importe
quel Compagnon?
Mathieu:
Dans mon souvenir, j'ai tout de suite été auditionné
pour le
Tondu. Je n'ai
jamais eu les cheveux très longs mais j'ai quand même
du les couper plus courts selon les épisodes.
Cédric:
Etiez-vous un lecteur des Six Compagnons?
Mathieu:
Non, pas du tout. Je connaissais comme ça, de nom,
mais je confondais avec le Club des Cinq.
Mes parents étaient pour la lecture mais sérieuse.
Tout ce qui était bibliothèque verte et rose était
proscrit à la maison.
Cédric:
Vous avait-on donné une bible du personnage avec ses
expressions, ses caractéristiques? Mathieu: Pas au premier casting mais par la suite on nous a un peu plus décrit les caractères des personnages. Mais c'était assez succinct.
Cédric:
Dans Télé
Star du 11 décembre
1989, vous déclariez "Par moments, le Tondu
m'énerve, il est un peu trop coincé: son côté scout,
en short et tennis kaki, très peu pour moi!"... Mathieu: C'est aussi à la fois pour ça que j'avais été pris. J'avais et j'ai peut-être encore un côté grave, sérieux, plutôt calme, posé. Cela avait du aider pour que je sois pris pour le Tondu. Au début, les premiers costumes choisis étaient tous vert, kaki et avaient un côté scout. Je n'étais pas contre mais ce n'était pas mon milieu, plutôt populaire. Les seuls scouts que j'avais fréquentés étaient les scouts vietnamiens car mon meilleur copain en faisait partie. J'étais le seul blanc au milieu des vietnamiens. A douze ans, on a beau jouer des rôles, on préfère être un héros dans lequel on se projette plutôt que dans quelque chose comme l'uniforme avec lequel on est moins en adéquation. Cédric: Sous la plume de Paul-Jacques Bonzon, le personnage du Tondu est plutôt bricoleur.
Mathieu:
Chaque réalisateur s'appropriait un peu les
personnages et l'ambiance à sa façon. Ce n'était pas
forcément linéaire. L'un avait tiré le côté un peu
chimiste expérimental du Tondu,
l'autre allait en faire un type plus scout, un autre
plus drôle. C'était une adaptation relativement libre. Cédric: Comment s'est déroulé le tournage entre juin et août 1989? Mathieu:
Dans mon souvenir, les premiers épisodes prenaient plus
de temps, on les tournait sur quinze jours et on restait
sur place tout le temps de l'épisode. Parfois même, on
enchaînait deux épisodes. En tant qu'enfants acteurs, on
était contents d'être là, c'est un super souvenir. Déjà,
on s'est à peu près tous, enfin au moins trois ou
quatre, très bien entendus d'emblée. On a pris le train
tous ensemble, peut-être
que
Pénélope [Schellenberg, Mady] est arrivée après de son
côté, je ne me rappelle plus. Durant le trajet on
était déjà tous super copains. On avait mis la
musique à fond dans le train, on s'était trouvé des
goûts musicaux en commun. Surtout, on n'en avait pas
vraiment conscience mais on était payés pour jouer
aux cow-boys et aux indiens, avec des gens qui
prenaient soin de nous. Ce qui était assez dur entre
guillemets, c'est qu'on s'attachait beaucoup aux
équipes et donc quasiment tous les quinze jours, on
se retrouvait les six en larmes de devoir les
quitter. Il y avait peu de membres qui restaient,
chaque réalisateur arrivait avec son équipe, ses
electros, ses habilleuses... Certains restaient sur
deux épisodes mais rarement plus. On était hyper
attachés aux gens. Les deux seuls référents qu'on
avait en permanence c'était Richard et
Loulou, une fille, qui étaient nos
coachs, en fait plus nos deux moniteurs de colo. Ils
étaient là pour s'occuper de nous, pour nous
conduire, pour tout ce dont on avait besoin, pour
nous surveiller, pour éviter que l'on fasse trop de
conneries. Cédric: C'est dans le train que vous avez commencé à délirer sur la musique des Blues Brothers? Mathieu: Oui, les réalisateurs l'ont intégré dans la série. Ils essayaient d'utiliser ce qu'on était pour recréer de la spontanéité. Mais chaque réalisateur était assez différent. Certains étaient très déconneurs, d'autres plus sérieux. On avait commencé le premier tournage avec Alain Tasma qui était super mais pas le plus comique. C'est d'ailleurs un des réalisateurs qui a fait carrière à la télévision et dont on entend le plus parler. Cédric: Et les autres membres de l'équipe? Mathieu: J'ai retrouvé il n'y a pas très longtemps deux assistantes metteurs en scène qui font de sacrées carrières: Pascale Ferran et Julie Bertuccelli. Cédric:
Vous avez fêté votre anniversaire durant le tournage
du deuxième épisode "Les Six Compagnons et le Cigare
volant"... Mathieu: C'était super. Cela pousse encore plus loin le côté colo. C'était une surprise, toute l'équipe s'était cotisée pour m'offrir une sorte de ghetto blaster, un truc énorme avec une petite télé intégrée. L'équipe déco m'avait même fabriqué un mini cigare volant en polystyrène peint que j'ai gardé pendant des années. On était des enfants mais on ne vivait qu'avec des adultes qui étaient nos amis. J'avais même un amour platonique pour une maquilleuse... de 25 ans mon aînée. Cédric: Vos parents vous suivaient-ils sur les tournages?
Mathieu: La
seule qui était quasiment tout le temps là, c'était la
mère de Pénélope
parce que c'était
la seule fille. Je crois même ne jamais avoir croisé
les parents de Cédric [Bessière, Bistèque]
ou Jerôme
[Gamet,
La Guille]. Sans les pauvres
Richard et
Loulou, qui devaient nous tenir, on
était livrés à nous-mêmes. Cédric: Combien d'épisodes étaient prévus? Mathieu: Au début il était prévu qu'on en fasse six pendant l'été. Le septième, "La Princesse noire" était déjà un rajout. Comme l'école avait repris, la moitié des parents, dont les miens, ont mis leur véto. Dans cet épisode, Cédric, Régis [Igonnet, Gnafron] et moi sommes très peu présents. Cédric et moi n'avons tourné qu'une journée, on jouait le fait qu'on était au téléphone, pas avec les autres. Cédric: Une deuxième saison a-t-elle été envisagée? Mathieu: C'était moins simple que le premier élan. Des agents artistiques commençaient à dire "il faut payer plus si vous les voulez encore". Je crois que la plupart des parents n'avaient pas envie qu'on réenquille pour une durée de deux ou trois mois de tournage. Je ne sais pas dans quelle mesure Cécile [Roger-Machart, la productrice exclusive] et IMA [la production] avaient envie que cela continue. Je sais qu'ils ont fait par la suite une série dérivée "Les Compagnons de l'aventure" avec notamment Jennifer, la soeur de Jérémie Covillault [Tidou]. Cédric: Aviez-vous un agent à cette époque? Mathieu: Je n'en avais pas mais ma mère a préféré que j'en prenne un. Cela s'est fait très simplement: un voisin de palier était comédien et nous a présenté son agent: Claude de Virieu, la femme de François-Henri de Virieu [journaliste, présentateur de l'Heure de vérité]. Je suis resté quelques années avec elle, jusqu'à ce qu'elle prenne sa retraite. Cédric: Dans les interviews accordées en 1989, vous évoquez le nombreux courrier des lecteurs que vous receviez... Mathieu: On en avait pas mal. On le recevait rarement directement. Cela arrivait à la production et je me souviens qu'une fois, on nous a amené, à Jérémie et moi, chacun une boite de chaussures remplie de courrier. C'était assez étonnant pour nous. La plupart du temps c'était des lettres d'enfants assez naïves mais je me rappelle d'une femme qui nous écrivait de prison, en nous remerciant, en nous disant qu'on lui faisait du bien. J'avais quand même la distance pour réaliser combien la prison devait être dure, au point que les Six Compagnons, destinés aux jeunes et aux enfants, la fassent sortir de là. Ce n'était pas la majeure partie de nos lettres mais on avait aussi des petites déclarations d'amour de certaines, des demandes de photos. Cédric: Dédicaciez-vous des photos? Mathieu: On a fait une fois vraiment une dédicace. C'était, je crois, au Salon du Livre à Paris, au Grand Palais, et on dédicaçait les livres. J'ai le souvenir de cette séance organisée. Cédric: Y a-t-il eu d'autres événements marquants pour vous? Mathieu: Jérémie et moi on est devenus meilleurs amis dès la fin de la série et restés "cul et chemise" pendant cinq ans. L'année suivante, il est venu en vacances dans une maison qu'on avait en Bretagne. On était dans les rochers, suivis par une bande de quatre ou cinq gamins. Au début on s'inquiétait un peu, on essayait de se planquer et en fait ils avaient récupéré des emballages de B.N. pour nous demander des autographes. C'est la première fois qu'on a vraiment réalisé que les gens regardaient la série télé. Cédric: Cette série vous a-t-elle mis le pied à l'étrier? Mathieu: Je n'en sais rien du tout. Ma mère était assez vigilante sur le fait que je ne tourne pas à outrance. Là-dessus, elle était assez classique: "Passe ton Bac d'abord, tu peux tourner mais pendant les vacances". Cela m'a permis d'avoir un agent, de commencer à entrer dans la valse des castings. Le père de Jérémie était beaucoup plus libre, il passait des castings plus que moi je pense. Je faisais déjà du théatre avant et pendant longtemps je voulais d'abord faire du théâtre, plus que du cinéma ou de la télé. Cédric: Vous avez retrouvé Jérémie sur le tournage des "Ritals" d'après le roman de François Cavanna... Mathieu: C'était deux unitaires de qualité réalisée par Marcel Bluwal. Mes parents aimaient Cavanna et Bluwal qui avait amené le théâtre à la télé. Mais la vraie raconnaissance familiale pour moi a été de tourner avec Jacques Rivette [Jeanne la Pucelle].
Cédric:
Vous n'avez pas eu l'occasion de tourner à nouveau
avec Pénélope
Schellenberg... Mathieu: Pascale Ferran, pour l’un de ses 1er court-métrage mettait en scène des gens de tous âges, toutes sortes, qui s’embrassaient, et elle nous a demandé avec Pénélope de nous prêter au jeu. Elle nous a finalement coupés au montage, mais peu importe, c’était mon premier baiser de cinéma. Pénélope est décédée très jeune. On est restés amis trois ou quatre ans. On faisait des fêtes avec des bandes d'enfants acteurs. Dans cette bande là, il y avait Benoit Magimel, Nicolas Grossetête et Virginie Ledoyen. Virginie était sa meilleure amie et c'est elle qui m'a appris sa mort. Parfois, le passage enfant adulte peut être difficile mais de nous tous, Pénélope avait le plus d'expérience. Elle avait déjà eu un grand rôle avec le film "Un père et passe". Elle était déjà chevronnée et partie pour une belle carrière. Cédric: Jérôme Gamet jouait un personnage de La Guille assez "grande gueule"... Mathieu: Il était assez tel quel. En plus on avait à peu près tous le même age, douze ou treize ans, sauf lui qui en avait seize, ce qui est une grosse différence à cet age là. Parfois, on n'était pas toujours sur la même longueur d'ondes même s'il pouvait être très drôle. Sur les six, on était vraiment quatre a bien s'entendre: Cédric, Pénélope, Jérémie et moi. Cédric: Cédric Bessière évoluait-il dans le même univers que vous? Mathieu: Non, Cédric ne se destinait pas du tout à être comédien. Il était beaucoup plus passionné par le basket et le rap. Il était content de l'expérience mais ne courait pas du tout pour réitérer. Cédric: Pensez-vous qu'en 2016 une série de bande d'enfants qui résolvent des enquêtes, comme les Six Compagnons, puissent être à nouveau adaptée et modernisée en téléfilm? Mathieu: Oui, je le pense. Je n'ai rien montré encore à mes enfants car ils sont petits mais je sais que ma soeur a montré des épisodes à mes neveux et nièces. Ils lisent des BD et des romans à enquêtes. On a tendance, à chaque fois, à vouloir moderniser mais à partir du moment où c'est de qualité, il n'y a pas nécessité à moderniser. Enfin, maintenant, quand on fait un film qui se passe dans les années quatre-vingts, c'est déjà un film d'époque! Cédric: Montrerez-vous cette série télé plus tard à vos enfants? Mathieu: En tous cas, je n'en ai pas honte mais je n'ai pas trop le réflexe de montrer ce que je fais. Même quand je joue au théâtre, comme dit Renaud, "je ne suis pas chanteur pour mes copains". Je fais ça pour mon plaisir. S'ils en entendent parler et qu'ils veulent le voir, je leur montrerai sans problème, sachant que je n'ai même pas de vidéo de la série. Cédric: Est-ce que votre expérience en tant qu'enfant acteur vous a apporté un plus en tant qu'adulte acteur?
Mathieu: Ce
sont des souvenirs étonnants parce que c'est à la fois
super et à la fois compliqué. On se sent adulte mais
on n'est pas adulte. J'étais très pote avec Jérémie
car on s'entendait
là-dessus, cette période d'enfance et d'adolescence où
l'on trouve les gens de notre age trop scolaires car
on a l'expérience du travail, plaisant certes, et où
on évolue avec des adultes. Aujourd'hui, j'hésiterais
à tourner avec des enfants. Sans paraître
présomptueux, je crois que j'avais la chance d'être
assez mûr et raisonnable, ce qui n'est pas le cas de
tous les enfants, et c'est tant mieux car un enfant
doit rester un enfant. J'ai réalisé deux courts
métrages mais j’hésiterais vraiment avant de faire
appel à des enfants acteurs. Cédric: Etiez-vous attiré par un genre en particulier? Mathieu: Jusqu'à dix-sept ou dix-huit ans, c'était plus ma mère et/ou mon agent qui faisaient des choix, avec mon accord. Ma mère refusait que je tourne dans des séries comme Navarro où que je tourne pour tourner. C'est aussi une question de hasard car quand on est comédien, on ne choisit pas, on est choisi. Cédric: Quelle est votre actualité professionnelles du moment? Mathieu: Depuis trois ans, je co-réalise avec Julie Gayet des documentaires sur le cinéma pour Ciné Plus. Après deux documentaires sur les femmes cinéastes et les hommes cinéastes français, on lance un troisième volet: les cinéastes femmes à l'international. Nous allons rencontrer des femmes cinéastes dans des pays où la parité est très loin encore des 25% (déjà maigres) de femmes en France.
Filmographie
complète de Mathieu Busson
Lien vers le premier court-métrage de Mathieu : Uberts
Lien vers le second court-métrage de Mathieu : Micha Mouse
Quand il ne tourne pas, la
librairie jeunesse parisienne préférée de Mathieu est "Les
Trois Soeurs":
Merci à Mathieu BUSSON pour
sa disponibilité et son accueil chaleureux ainsi qu'à
son agent Dominique Saraïs.
Interview réalisée par Skype le 15 avril 2016 avec la participation aux questions de Anne, Marina et Serge. Droits des images: Dessin du Tondu: Maurice Paulin, éditions Hachette. Photo de Mathieu Busson et de Pénélope Schellenberg: D.R. (collection Mathieu Busson) Portrait de Mathieu Busson: Anne Dion Images extraites de Uberts et de Micha Mouse: Mathieu Busson Librairie les Trois Soeurs: D.R.
Date de première
publication: 13 juin 2016
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